Par Corentin Barsacq
Dans des lieux abandonnés, Mathilde est en quête d’une époque figée. Elle capture dans son objectif des clichés fascinants de châteaux dépourvus d’âme.
Mathilde vient d’escalader un muret, seul obstacle dans sa quête prohibée. Méfiante et à la fois exaltée, la jeune photographe est dubitative quant à l’accès à choisir afin de ne pas être repérée. Dans les profondeurs de la forêt des Landes de Gascogne, un château abandonné lui fait de l’œil. Finalement, c’est par la porte d’entrée principale qu’elle pénètre dans l’antre d’une époque révolue. Dans ce majestueux décor amoché par la frénésie d’un temps assassin, Mathilde enfreint les lois. Mais dans ses yeux, une alliance de talents et une touche d’adrénaline la poussent à continuer sa mission : celle d’immortaliser à jamais des lieux mystiques et enchantés.
Elle marche à travers l’Histoire
À seulement 22 ans, la jeune femme originaire de Belin-Béliet en Gironde est une habituée de ces expéditions. Dans le jargon de ces passionnés, on parle d’Urbex, contraction entre « urban » et « expédition ». Ici, dans un lieu que l’on ne peut indiquer par respect des valeurs défendues par la pratique, Mathilde vient en paix. Ses seuls besoins : observer et photographier. « Ce que j’aime dans l’Urbex, c’est la chance mais aussi le malheur de pouvoir visiter des lieux grandioses, totalement dénués de vie humaine » témoigne la conseillère agricole dans la vie professionnelle. Tôt ce matin, elle pose son trépied au milieu d’une pièce et visite tous les recoins du château.
Lentement, elle pousse chacune des portes et découvre des pièces uniques. Aucun bruit émane de l’intérieur, l’odeur est atypique. Un doux mélange de renfermé et d’ancien donne l’impression d’être dans une lointaine époque.
La règle essentielle, le respect du lieu
Dans une des grandes pièces de la demeure, elle ouvre délicatement des tiroirs : « J’ai tendance à inspecter les rangements, juste pour y voir des vestiges. Ensuite, je débute ma série de photos, plus ou moins inspirée et en faisant attention à ne rien briser » précise la passionnée. Le paysage qu’elle explore est saisissant. Au sol, une décharge où se mêlent rideaux, morceaux de carrelage et ordinateur, occupe un grand espace. Le paysage désolant se réitère dans chacune des pièces visitées.
Dans l’objectif de Mathilde, des scènes immuables. Un fauteuil rouge en plein milieu d’une vaste surface. Une peinture au plafond chancelante. Un lustre poussiéreux mais étonnamment intact. Autant d’éléments qui trouvent sens dans l’approche artistique de la belinétoise. En ouvrant l’une de ses nombreuses armoires en bois de noyer, la structure s’effrite. La façade richement sculptée est difficilement reconnaissable. La matière perd de son âme. Un mélange de nostalgie et de tristesse envahit le regard : « C’est beau de pouvoir imaginer la vie des personnes qui ont vécu ici » se contente de commenter Mathilde.
La peur, l’essence d’une motivation
Lorsqu’on lui demande si elle ressent de la peur lorsqu’elle pénètre dans des lieux abandonnés, l’urbexeuse s’étonne : « Bien sûr que j’ai peur. Mais cela donne un petit pic d’adrénaline ! » Car lorsque l’on entre dans l’intimité d’une bâtisse aussi étendue que celle d’un château, le moindre bruit mérite attention. Le claquement d’une porte, la chute d’un objet ou le sifflement du vent sont des facteurs qui suscitent rapidement l’inquiétude mais ne viennent pas troubler le calme déconcertant de la jeune femme.
Avec sérénité, la photographe règle son objectif et multiplie les prises de vue. Après une heure d’expédition dans un cadre unique et sibyllin, il faut maintenant quitter la demeure pour ne pas éveiller les soupçons. Mathilde ressort du bâtiment et jette un dernier regard sur les volets disloqués du château. Dans l’après-midi, elle sélectionnera avec soin ses plus beaux clichés. Ceux qui témoignent de la violence inouïe de l’abandon. Ceux qui sont les témoins d’une époque décimée. Ceux qui parlent plus que les mots.
Pour suivre Mathilde dans ces explorations: MSJ Photographies