Par Corentin Barsacq
Figure locale et régionale, incarnant toute la richesse et les valeurs de notre territoire, Eliette Dupouy nous a quitté hier. Aujourd’hui, le passé de Belin-Béliet est orphelin.
Elle vivra au plus profond de l’histoire de Belin-Béliet, un village qui a perdu tant hier, lorsqu’Eliette Dupouy s’en est allée. Mémoire d’une époque révolue, éternelle nostalgique de la vie d’antan, la fille du pays a enfilé une dernière fois son béret. Elle est montée sur la selle de son vélo, un fidèle compagnon, a avalé les kilomètres à coup de pédale pour partir conter ses belles histoires ailleurs. À 86 ans, la passeuse de mémoire laisse derrière elle une famille admirative de son vécu, un héritage culturel impressionnant et une empreinte immortelle dans le passé de notre village.
Eliette, la fille du laitier
En bordure de la rue du stade, derrière le tennis, la petite maison au volet bleu lavande est l’antre d’Eliette et Alfred Dupouy. Entre les murs, les discussions étaient en patois, si chère aux yeux de la conteuse. Dans la campagne de Béliet, Eliette était la fille du laitier en référence au métier de son père, Eloi Dubedat. Née en Juin 1933, la jeune fille de l’époque façonnait déjà la Eliette telle que nous la connaissions aujourd’hui. Curieuse, admirative de ses ainés, elle s’imprégnait des gemmeurs, bergers, sabotiers et autres professions aujourd’hui disparues : « Mon grand-père était muletier. Il chantait tout le temps en patois. » Les racines d’un serment qu’elle n’aura jamais trahi, celui de faire perdurer leur histoire. Ayant fait ses classes à l’école beliétoise, la jeune Dubedat apprend le français mais ne reniera pas sa langue maternelle. Sur ses cahiers, une écriture calligraphique singulière, exceptionnelle, qui glisse entre les lignes. Des poèmes, des dessins, des témoignages, ce seront là les premières bribes de ses impérissables souvenirs.
« T’eymi tan moun païs »
Dans sa maison, des objets entassés et une décoration rustique, le cœur des Landes de Gascogne. Chaque objet témoigne d’un souvenir auquel la vieille dame greffe une histoire. Elle qui rêvait d’être infirmière et qui finalement s’occupera des champs, aura la tâche de garder les vaches et de porter le lait aux familles les plus modestes. C’est à cette époque qu’elle deviendra la voix de l’histoire, celle « soun païs. » Elle obtiendra son certificat d’études en 1947 et se mariera à Alfred, personnage haut en couleur, en 1962. De cette union naitront trois enfants – Dominique, Édouard et Thérèse – et des petits enfants formés dès le plus jeune âge à l’amour du village. De ses premiers textes sur « le grand incendie de 1949 » jusqu’à aujourd’hui, elle n’aura eu de cesse de gratter la feuille pour y inscrire ses plus belles rimes.
À l’âge de 64 ans, elle publie ses écrits dans un recueil. Le premier d’une série conséquente de huit livres qui lui offriront une belle carrière régionale. D’une voix douce à l’accent gascon, elle interprétait à la perfection les chants oubliés, ce à la gloire de la vie paysanne. Elle gravait ses souvenirs dans des cahiers, découpait les articles de presse et se forgait pas à pas une mémoire inébranlable. Généreuse avec celles et ceux venus dans sa maison pour apprendre, elle chantait à foison, transmettait sans fin le passé au travers de ses précieuses anecdotes : « Quand on partait au lavoir, les Allemands tiraient sur la taule pour nous effrayer.»
Eliette se nourrissait de son environnement et tous se nourrissaient d’elle. Un personnage authentique, si bon à écouter et si précieux à connaitre. Une encyclopédie qui préservait notre histoire pour mieux la retranscrire. Une femme inspirante, apaisée, riche de ses paroles. La journée, elle trouvait toujours de quoi s’occuper. « Que veux-tu, les poules ne se nourrissent pas toute seules hein ! » Cultivée, la passeuse de mémoire « n’aimait pas les méchants, les malhonnêtes, les gens qui souhaitent le mal. » C’est sans doute pour cela que son énergie et sa joie de vivre rendaient ses interlocuteurs si joviaux. Elle qui se considérait comme une étape dans la transmission de l’Histoire mais qui était pourtant bien plus que cela.
Dans sa pile immense de cahier, Eliette a laissé son héritage : « Tu me les ramèneras, j’en ai plein. » Hélas, on aurait dû prendre le temps. Son départ brutal rappelle à quel point elle était unique. Eliette est partie mais ses écrits resteront. Belin-Béliet vient de perdre une figure, la figure, l’âme du village, la gaieté du passé. Le lavoir de Lacoste a lâché des larmes ce matin. La conteuse gasconne nous rend aujourd’hui triste malgré elle. Belin-Béliet a perdu la voix …
" T’eymi tan moun païs
Dan ta lane de pins
Pitat dessus mas tchanques
Ey ton courrut la lane"
" Je t’aime tant mon Pays
Avec ta lande de pins
Perché sur mes échasses
J’ai tant couru la lande"
Le Belinétois adresse ses plus sincères condoléances à la famille et aux proches d'Eliette Dupouy.
Publié en accord avec la famille.