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Alfred Dupouy, « le grand béret » a rejoint Eliette

Par Corentin Barsacq

Crédit photo: Le Belinétois.
Crédit photo: Le Belinétois.

2020 avait vu son Eliette rejoindre les étoiles. Alfred l’a donc rejoint hier pour de nouveau l’entendre chanter. 

 

Il était un visage du cru, une « gueule » du pays aux mille et une vies. Alfred Dupouy s’est éteint hier à l’âge de 92 ans, emportant avec lui tous les sourires qu’il aura pu procurer par son rire communicatif. Regard perçant assombri par son indispensable béret, Alfred Dupouy était avant tout un enfant des Landes. Né à Le Sen, dans le canton de Labrit, il vivra une jeunesse paysanne, entre le bétail et le potager. Déjà en ces temps, il roulait les consonnes, l’héritage d’un patois du coin bien maitrisé.

 

À Béliet, il deviendra domestique. Un destin différent de ce que l’homme envisageait avant la guerre, lui qui fomentait durant son enfance le projet de devenir prêtre : « La messe, je la récite en français et en latin. Je n’ai pas besoin de tourner les pages pour la connaître » s’amusait-il dans un entretien vidéo. À cette époque, il rencontre Eliette Dubedat, jeune fille issue des champs, comme lui. Partenaires de la vie paysanne, s’autorisant les fêtes de village pour respirer, tous les deux vivent une belle histoire. Alfred à une voiture et emmène Eliette dans les fêtes. Les fondations d’un mariage prononcé en 1962 et qui verra naitre trois enfants.


« Je n’ai jamais payé un coup. Par contre j’en ai bu »


Pour nourrir le foyer, Alfred devient ensuite employé de fonderie à Béliet, au contact du métal en fusion. Un métier qui use et qui exige adresse, finesse et résistance. En guise de bol d’air, l’homme au béret quitte la maison pour se rendre à quelque mètres de sa demeure, sur le carré vert de Pierre Mano. Bénévole historique du Football Club de Belin-Béliet, c’est lui qui fait office, sans le savoir, d’intendant du club. Avant chaque match, il s’occupait de l’entretien de la pelouse, traçait les lignes, cuisinait quelques banquets bien arrosés : « Les méchouis n’avaient pas de secret pour lui, son légendaire Opinel en a découpé plus d’un » se remémore le club qui a souhaité lui rendre hommage hier soir. 

Un bénévole précieux, emblématique, inimitable. À la buvette du club, qu’il tenait pendant les matchs, ses plus beaux excès restent encore en mémoire : « Je n’ai jamais payé un coup. Par contre j’en ai bu. Je buvais mais je n’avais pas soif » rigolait encore « le grand bounet » il y a deux ans.  « Un petit coup pour le vieux avant de partir » disait-il en guise de dernier verre.

 

Quand la vieillesse vint peu à peu s’immiscer dans la petite maison de la rue du stade, Alfred n’était pas bien loin pour regarder les matchs depuis le grillage. Lors des dimanches moins glorieux sportivement, le potager d’Eliette voyaient quelques frappes dévissées atterrir sur les salades tandis que des balles jaunes bourgeonnaient étrangement aux côtés des tomates. Et lorsqu’un gamin faisait office de ramasseur de balles, un chaleureux « Tiens, drôle » lui remettait le cuir. Celui d’un visage que l’on n’oublie pas, d’un accent gascon qui semble inusable.  

Personnage singulier, illustrant la simplicité d’une vie d’antan aux côtés de son épouse, Alfred était lui aussi une voix du pays. Celle d’un homme travailleur, décoré de la médaille du travail en 2013, à l’occasion d’une cérémonie où il avait pu porter de nouveau le drapeau, comme au bon vieux temps. Au sein d’une modernité dans laquelle Eliette et Alfred n’auront jamais trop su s’adapter, le couple aura préféré ses racines. Une vie en autarcie qui, au fil du temps, suscitera respect, curiosité et admiration. Si Eliette, conteuse et poétesse à la fine plume aura porté les traditions à travers ses cahiers et ses chants, Alfred restera son premier spectateur.

 

À l’heure où ces mots sont écrits, on imagine déjà le couple au pied du feu, à nouveau ensemble. Lunette en bout de nez, Alfred lirait les nouvelles du jour tout en écoutant la douce voix qui l’aura accompagnée pendant 54 ans. Loin du métal ardent, des beuveries et des tournois de belote, mais éternellement près de ses traditions, de son passé, et de celles et ceux qui auront eu la chance de le croiser.