Par Corentin Barsacq
Trésor ferroviaire préservé au fil des siècles, le viaduc de Béliet incarne toute la richesse historique de l’ancien centre du Graoux.
Il était en son temps l’ouvrage le plus imposant de la ligne ferroviaire Facture – Saint-Symphorien et continue, encore aujourd’hui, d’étonner par son imposante silhouette dissimulée derrière un tapis de verdure. Niché sous les pinèdes de Béliet, le viaduc du Graoux est un mastodonte de fer qui pourrait raconter une histoire singulière de la localité. Dans le cadre de l’aménagement de voies ferrés entre Facture et la commune de Saint-Symphorien en sud-Gironde, la société générale des chemins de fer économiques avait eu recours à différents ouvrages d’arts afin d’enjamber des obstacles naturels situées sur ce tracé.
Au nombre de 26, ces différents ponts furent, pour la plupart, modestes, hormis au Graoux. Ici, en pleine forêt de Béliet, le ruisseau de la Gaure s’écoule paisiblement à travers la vallée. Mais pour rallier les deux vallons espacés de 100 mètres, il est décidé d’y établir un imposant viaduc. À l’époque, le chantier à l’apparence démesurée pour le territoire est vanté dans la presse par le biais de « La petite Gironde ».
Un élève de Gustave Eiffel à la baguette
Le 16 mars 1884, le quotidien de l’époque s’extasie devant la beauté de la réalisation : « Entre Facture et Saint-Symphorien se trouvent cinq stations intermédiaires : Mios, Salles, Belin, Hostens, Tuzan et deux haltes : celle du Bournet, commune de Salles, et celle de Joué, commune de Belin. La voie ferrée passe sur 26 ouvrages d’art, dont le plus important est le viaduc de Béliet. Cet ouvrage, dont nous avons entretenu nos lecteurs à différentes reprises pendant la période de construction, est situé dans la traversée d’un ravin à l’aspect agreste et sauvage, où il produit un fort bel effet ; il se fait remarquer par sa hardiesse et son élégance. »
Et il faut dire que l’ampleur de la tâche réalisée à de quoi impressionner. Le tablier métallique de 102 mètres de longueur est inédit dans le paysage du Val de l’Eyre. Pour en assurer la qualité, les pièces sont confectionnées dans des ateliers de renom à Creil, dans l’Oise. Le chantier est en effet confié à Louis-Gabriel Le Brun, à l’époque fraichement récompensé d’une médaille d’or lors de l’Exposition Universelle de 1878 à Paris. Ce notable ingénieur a, entre autres, été l’élève d’un certain Gustave Eiffel et avait signé quelques années auparavant le pont de Cadillac, délibérément inspiré du style Eiffel que l’on retrouve sur le viaduc de Béliet.
Une macabre découverte au pied du viaduc
Ce dernier ouvrage comporte trois travées en forme de poutres creuses à parois ajourées en croix de Saint André et laisse entrevoir le vide à travers le pont. De son vivant, la conteuse locale Eliette Dupouy racontait la peur ressentie au moment de traverser le viaduc à pieds, tandis que les plus jeunes s’amusaient à grimper sur les trains de marchandises en marche.
Résine et bois étant les principaux produits transportés, la ligne perdit de son utilité au gré du progrès industriel et économique. Des trains de marchandises seront supportés par le viaduc jusqu’en 1978 alors même que le service des voyageurs n’était plus assuré depuis sa fermeture en octobre 1955. En 1976, et alors que le Graoux est devenu une base nautique, le corps d’une femme est découvert au pied du viaduc quelques jours avant Noël.
L’évènement avait provoqué un vif émoi au sein de la commune. On apprendra plus tard que cette femme dépressive avait vécu à Béliet quelques années avant sa mort et avait quitté sa maison de Villenave d’Ornon la veille pour se suicider depuis le viaduc. Par la suite, la transformation des voies ferrées en voies vertes de Mios jusqu’à Bazas fut bénéfique pour le site du Graoux. Chaque année, la fête du lac et du viaduc attirait une foule importante. Un mur d’escalade fut installé en contre-bas de l’ouvrage et les écoles de la région furent nombreuses à s’y aventurer chaque année.
Depuis la fermeture du centre d’animation, le viaduc préserve son attrait. Cyclistes et promeneurs restent des visiteurs quasiment quotidiens tandis que les moins renseignés pensent encore qu’il s’agit d’une œuvre du Gustave Eiffel. Mais après tout, c’est bien là que naissent les légendes autour du patrimoine local. De quoi préserver encore pour quelques temps l’intérêt d’un lieu marqué par l'ambivalence de la nature et de l'industrie.