Par Corentin Barsacq
Arnaud Sergent est chercheur en science politique à l’INRAE de Bordeaux, l’institut de recherche public en matière de développement cohérent et durable de l’agriculture, l’environnement et l’alimentation. Il exerce ses fonctions au sein de l’Unité de Recherche ETTIS installée à Cestas en tant qu’ingénieur spécialisé dans la politique de la filière forêt-bois. En outre, il a également contribué à des recherches pour le Comité scientifique régional sur le changement climatique AcclimaTerra. Pour Le Belinétois, Arnaud Sergent a accepté de nous en dire plus sur l’avenir de la forêt des Landes de Gascogne, ainsi que de la sylviculture, à l'ère du réchauffement climatique et des incendies dévastateurs.
Le Belinétois : Avant que l’on aborde la question des incendies qui ont marqué l’été en Gironde et l’influence du dérèglement climatique, sous quelle forme s’est manifesté jusque-là ce phénomène dans le massif forestier des Landes de Gascogne ?
Arnaud Sergent : Je dirais que le premier moment où il y a eu cette réflexion sur la fragilité de la ressource forestière a été la tempête de 1999, puis celle de 2009 avec cette mise en évidence de la vulnérabilité du massif. Mais l’attribution de ces tempêtes aux effets du changement climatique n’a jamais été explicite puisque les tempêtes ne sont pas nécessairement des manifestations de changement climatique. Mais à l’époque déjà, dès 1999, on se posait cette question des effets du changement climatique sur des fréquences plus fortes. Cela s’est finalement déroulé dix ans plus tard avec la tempête Klaus. Il y avait déjà ce débat autour de la question : « Ce massif, tel qu’il est conduit aujourd’hui, est-il apte à s’adapter ou à être adapté à l’évolution potentiel du climat.
À la réponse à cette question, les analyses ont montré que globalement, d’un point de vue des conditions climatiques pour le développement du pin maritime, il n’y avait pas de risques à court terme. On sait que c’est une essence qui tolère relativement bien la sècheresse et la chaleur. En revanche, on réfléchissait déjà à limiter notre exposition aux risques en coupant plus rapidement les arbres. Plus on laisse les arbres debout longtemps, plus on a de risque qu’ils tombent. Sur cette réflexion d’adaptation, on s’est dit que l’essence était adaptée, donc qu'on allait pas revoir ça.
Par contre, dans nos méthodes de sylviculture, on parlait de raccourcir les rotations, c’est-à-dire de couper les arbres plus tôt afin de limiter l’exposition aux risques. Cette réflexion s’est accentuée avec les incendies. Ces derniers viennent poser, d’une manière plus forte, la question de l’adaptation du massif au changement climatique.
Est-ce que des incendies de cette ampleur étaient selon vous prévisibles, aussi bien pour la filière bois qu’en matière de lutte contre les feux de forêt ?
Clairement, non. Le fait qu’un incendie puisse causer autant de dégâts a surpris globalement la plupart des acteurs de la filière. Mais des spécialistes du risque incendie qui étudient les conditions climatiques, notamment à l’Inrae, ont depuis longtemps pointé du doigt le risque de mégafeu, ou de feu important. Vu les conditions de sécheresse et de température de cet été, finalement, ce n’est pas surprenant qu’il y ait eu un feu. Ce n’est pas une anomalie. Il y a de fortes chances qu’il y en ait d’autres de cette ampleur-là. Ce qui a surpris, c’est le fait que le massif soit très exposé. On est dans la zone où il y a le plus de départs de feu en France. Le fait qu’il y ait un risque incendie important est intégré depuis longtemps.
Mais la plupart des professionnels avaient une confiance très forte dans leur dispositif mis en place depuis les incendies de la fin des années 40. Le dispositif s’est depuis perfectionné et il est très bon, sans doute même un des meilleurs en France. Cela confirme aussi que la stratégie de lutte contre les feux naissants est la bonne, puisqu’on voit que quand il s’échappe, il est difficile de le contrôler. Mais elle n’a pas réussi à venir à bout de ces deux incendies simultanés (N.D.L.R : La Teste et Landiras).
Cela montre la fragilité de ce système. Il était performant avant. Il ne l’est certainement plus suffisamment aujourd’hui dans les conditions actuelles et dans les conditions futures. Il doit être repensé en développant d’autres outils de prévention.
Qu’est-ce qu’il est nécessaire de faire pour prévenir ce risque d’incendie ? On parle notamment de mieux sécuriser la forêt des Landes de Gascogne avec des pare-feux plus larges qu’auparavant.
Diverses options sont possibles et avancées par celles et ceux qui étudient le risque incendie. Il y a différents niveaux. À l’échelle de la gestion forestière en elle-même, c’est à dire la façon dont on va gérer une parcelle, il y a le débat de dire « Est-ce que le pin maritime géré en plantation est le plus adapté ? » A priori, le pin maritime, avec peu de sous étages et des arbres qui ont tous le même âge, est plutôt moins sensible au risque incendie que lorsqu’on a plusieurs étages, et donc beaucoup de combustible. Cela nécessite d’enlever le sous étage, de débroussailler etc. Toutes ces opérations-là limitent plutôt le risque de propagation d’incendie.
Certains sylviculteurs et forestiers préconisent la plantation de feuillus…
À l’échelle du paysage, il y a cette idée qu’il faut rendre ce massif plus hétérogène. Les différentes essences forestières n’ont pas la même sensibilité au risque incendie et donc, si on diversifie à l’échelle du paysage en mettant notamment plus de feuillus plutôt qu’uniquement des résineux, cela permettrait de limiter l’inflammabilité. C’est une option qui fait débat, mais qui peut permettre de gérer des formes de coupures. Et puis il y a une autre option, cette fois-ci à l’échelle de l’aménagement du territoire, qui consiste à gérer des interfaces pour réduire la propagation du feu, et donc limiter les contacts entre la forêt et les infrastructures par des zones non-boisées.
Au sein même de la forêt, certains pensent à un réseau de coupures de combustible, donc de pare-feux, en utilisant le sol d’une autre manière. Cela peut être l’agriculture comme dans le sud de la France, d’autres pensent à des panneaux photovoltaïques. Dans tous les cas, il y a cette idée de fragmenter le massif forestier. Mais on ne sait pas quelle largeur est efficace, ce que l’on va mettre dessus, comment on gère le fait qu’on supprime des espaces forestiers... On sait les enjeux et la demande qu’il y a pour conserver la forêt. D’une manière un peu plus organisationnelle, il existe la possibilité de mettre en place des plans de prévention du risque incendie et donc d’avoir quelque chose de plus anticipé. Ce sont des pistes de réflexion.
Que va devenir le bois calciné par les incendies ?
Ces arbres calcinés, hormis les jeunes plantations, sont exploitables et ont une qualité qui ne sera pas altérée à court terme. Le problème, que les forestiers ont déjà connu lors des tempêtes, c’est qu’au bout d’un moment, l’arbre va avoir des champignons et cela altère notamment son esthétique, et limite les usages. Il va y avoir une course contre la montre. Mais la filière a une flexibilité. Elle est en mesure d’aller assez vite et de valoriser ce bois-là. Mais quelqu’un qui a investi dans un peuplement qu’il devait couper à 40 ans alors que le pin a brûlé à 20 ans n’obtiendra pas la valorisation du capital qu’il avait engagé. L’investissement ne sera pas rentabilisé.
Plusieurs pistes sont étudiées sur certaines parcelles, à savoir la régénération naturelle de la faune et la flore. Qu’en pensez-vous ?
La première des choses, c’est qu’on est dans un contexte assez tendu où des professionnels, dans une grande majorité, sont dans une posture de défense, assez agressive même, vis-à-vis de tout ce qui pourrait remettre en question le modèle sylvicole qu’ils ont développé et qu’ils ont étendu à toutes les Landes de Gascogne. Ils sont très attachés au maintien de ce modèle-là. Mais je pense que les débats qui s’ouvrent aujourd’hui ne consistent pas à envisager de remplacer un modèle par un autre mais plutôt de se questionner sur une manière de concilier plusieurs modes de gestion de la forêt et de les faire coexister dans une nouvelle forme de gestion.
La régénération naturelle en est une, elle est déjà pratiquée par l’ONF sur certains terrains, mais c’est un mode de gestion qui n’est pas non plus sans poser des problèmes. Ce n’est pas une panacée. C’est une option qui peut être propice dans certains cas et qui peut être amenée à se développer mais encore une fois, ce qu’il y a de certains, c’est que cette option-là nécessite forcément un arbitrage par rapport aux enjeux économiques associés.
On ne peut pas avoir la même performance économique avec une forêt plantée telle qu’elle est, et un système de régénération naturelle, plus aléatoire qui demanderait plus de moyens d’intervention pour conduire ce peuplement, avec plus d’incertitudes sur la réussite du reboisement, et plus d’hétérogénéité dans les produits qui seront issus de cette forêt. Il faut savoir que le système de la plantation bénéficie d’un programme d’amélioration génétique très performant. On a eu une augmentation de la productivité des arbres en l’espace de 50 ans qui est de 40%. Le fait de ne pas planter, cela signifie que l’on ne bénéficie pas de ces avantages-là. Forcément, pour le système économique, c’est moins intéressant et cela va limiter sa performance mais c’est possible de le faire quand même. Il y a un arbitrage qui est à faire collectivement sur ce que l’on souhaite diversifier.
Si on veut considérer d’une manière conjointe l’enjeu environnemental et l’enjeu économique de la forêt, il faut penser de manière liée. Il y a une marge de manœuvre qui est assez limitée puisque cela dépend aussi des marchés, de la façon dont ils sont organisés. C’est une équation plutôt complexe. Ce qu’il y a de sûr, compte-tenu de la situation et des enjeux, c’est qu’il y a peu de chance que l’on reste dans une forme d’approche unique. Il va falloir s’adapter et évoluer. Il faut que tout le monde en prenne conscience.
Propos recueillis par Corentin Barsacq