Par Corentin Barsacq
Le 4 octobre dernier, Lucette Moulin soufflait sa centième bougie en compagnie de sa famille et ses proches à Lugos. Malgré l’âge, sa mémoire reste inébranlable. Elle livre ses souvenirs sur 100 ans de vie, dans un petit village qu’elle a vu grandir.
Sur les murs de la demeure familiale, des reproductions à l’encre de chine de l’étang du Bran, de l’église du Vieux-Lugo ou encore de la nature. Si Lucette Moulin parvient difficilement à les contempler, la vieillesse ayant atteint sa vue, elle en connaît pourtant les moindres contours. « C’est elle qui a fait tout ça » explique fièrement son fils.
Le 4 octobre dernier, sa famille, ses voisins mais aussi les infirmières du CCAS sans oublier la mairie de Lugos l’ont honoré à l’occasion de son centième anniversaire : « Vous verrez, elle se rappelle de tout » nous dit-on avant d’interrompre bien malgré nous la retransmission de la messe dominicale.
Mais Lucette Moulin n’est pas rancunière et revient sur les grandes lignes de sa vie sans difficulté. Né le 4 octobre 1922 à Lugos d’un père contremaître et d’une mère couturière, la jeune fille de l’époque fréquente l’école communale puis celle de Salles, avant de prendre la route de Bazas pour intégrer le pensionnat.
De retour dans le petit village de l’Eyre, Lucette ne tarde pas à rencontrer Roger Moulin, un natif du pays avec qui elle va traverser l’une des périodes les plus sombres de l’histoire. « Les Allemands sont arrivés en 1941 à Lugos. Au début on avait la trouille » se souvient la centenaire. Entre temps, cette dernière décroche son premier contrat de travail au sein des établissements Salefran. Elle deviendra par la suite la secrétaire de Jean-Paul Salefran, l’ancien maire de Lugos.
La vie au temps de la Résistance
Son jeune mari, Roger, intègre lui aussi l’entreprise afin d’esquiver le Service du travail obligatoire en Allemagne. Mais en interne, le patron de l’entreprise monte un réseau de résistant, qui ne tarde pas à coordonner ses actions avec leurs homologues d’Hostens. Le groupe de résistants Hostens – Lugos est créé. Lucette Moulin suit ça de très près : « Mon mari allait jusqu’à Hostens à mobylette pour avertir le groupe des livraisons d’armes à venir. Elles pouvaient arriver dans une charrette de foin par exemple » se remémore celle qui, au moment des faits, avait décidé de se murer dans le silence.
Les parachutages de l’autre côté de la frontière landaise, à Saugnac, jusqu’à la capture d’officiers allemands à la gare de Lugos, Lucette était au courant de tout. La journée, elle allait prêter main forte afin de compter les tickets de rationnement distribués à la population. Le soir, elle voyait son mari partir discrètement dans la forêt Lugosienne en quête de nouveaux exploits.
« Jusqu’à 100 ans, c’est compliqué. Après, ça file tout seul »
Après la guerre, Lucette fait face à un nouvel ennemi qui a récemment défrayé la chronique, le feu : « Il y a eu de gros incendies à Lugos. La caisserie Salefran ne pouvait plus exploiter le bois localement. Cela a été un coup dur » se souvient-elle. Au regard de ces importants sinistres, la commune perd des habitants et les jeunes du village peinent à s’épanouir. La Lugosienne fait alors partie des forces vives qui lancent l’association sportive des jeunes de Lugos : « On faisait du sport et du théâtre. Nous avions réalisé une pièce qui fut tellement bien qu’on l’a même joué à Salles » raconte, avec un sourire radieux, celle dont l’âme d’artiste demeure impérissable.
Dans sa petite maison, jouxtant celle de son fils Jean-Guy, Lucette voit défiler ses anges gardiens, à savoir celles et ceux qui prennent soin d’elle. Quant au secret de sa longévité, la Lugosienne botte en touche : « Je n’en sais rien ». Mais c’est alors que lui revient une phrase répétée à de nombreuses reprises par Jean-Paul Salefran, qui aura vécu jusqu'à 107 ans : « Monsieur Salefran disait que jusqu’à 100 ans c’était compliqué. Après ça file tout seul. »