Par Corentin Barsacq
Dans la matinée du lundi 4 mars 1963, la Haute Lande est le funeste théâtre du crash de trois avions militaires. Entre la malchance et un acte héroïque, récit d’un drame aérien qui aura coûté la vie à cinq aviateurs entre Saugnac-et-Muret, Commensacq et Trensacq.
En mars 1963, la guerre d’Algérie touche à sa fin. Ce n’est pas pour autant que l’aviation française baisse pavillon. Afin d’être parée à de potentielles opérations en Afrique, la base aérienne de Cazaux, multiplie les exercices. C’est pour l’un d’eux que quatre bombardiers bimoteurs B-26 « Invader » sont testés afin de savoir s’ils sont en mesure de rejoindre le continent africain depuis la métropole. Membre de l'Espace Patrimonial Rozanoff, musée de la base aérienne 118 de Mont-de-Marsan, Christian Levaufre a pu retracer avec minutie le fil des évènements.
Passionné d'histoire de l'aviation, il a en effet collecté de multiples informations au sujet d'accidents intervenus dans le cadre d'exercices militaires dans les Landes. Le crash des trois bombardiers B-26 a particulièrement retenu son attention: "C'est l'un des plus dramatiques" concède-t-il. La mission débute donc le 3 mars 1963 par la préparation au vol. À 7h55, le lendemain, les quatre avions décollent dès la fin du briefing météo en direction du Mali. Hélas, le vol tourne à la catastrophe.
Ce jour-là, des couches nuageuses rendent l’exercice complexe. Dans le ciel de la Haute Lande, au dessus de Pissos, les quatre bombardiers volent en formation sans grande visibilité. À bord de l’appareil situé le plus à gauche de la formation, le pilote annonce rencontrer des difficultés de pilotage et dépasse l’avion leader, alors même que ce dernier est en charge de coordonner la traversée serrée d’un épais nuage. C’est alors qu’une collision intervient entre les deux bombardiers. Au sein de l’appareil leader, le capitaine Gérard Saint-Paul ordonne à son équipage de sauter.
Une effroyable malchance
Le mécanicien de l’appareil, le sergent Ertle s’exécute. Son parachute tarde à se déployer à faible altitude et il percute violemment le sol. Gérard Saint-Paul et le sous-lieutenant Pierre Allemang ne pourront s’extraire de l’habitacle. L’avion tombe sur la commune de Commensacq, à quelques centaines de mètres de la Leyre et l’explosion vint troubler la quiétude des Landes de Gascogne. Le choc, d’une brutalité inouïe, ne laissera aucune chance aux deux occupants, dont les corps seront retrouvés au sein de la cabine de pilotage déchiquetée.
Le second avion impliqué dans la collision tente un atterrissage d’urgence. Au sein de ce dernier, le sous-lieutenant Gauthier a été grièvement blessé dans la collision, mais poursuit sa mission de navigateur. Le pilote effectue quant à lui un atterrissage d’urgence, mais l’avion s’embrase dès la fin de la manœuvre, entre Moustey et Saugnac-et-Muret. Trois des quatre occupants parviendront à poser le pied à terre. Le corps calciné de Marceau Gauthier sera retrouvé dans les restes de l’appareil.
Le dernier acte de bravoure du lieutenant Ehle
Un mystère jalonne ce triste épisode de l’aviation française. Un troisième avion, qui ne serait pourtant pas impliqué dans la collision, pique du nez brutalement. À son bord, le lieutenant Ehlé donne l’ordre à son équipage de sauter en parachute. Le mécanicien, le sergent chef Denis Gouery, assura qu’il avait ressenti un choc avant de sauter de l’appareil, non sans mal. Son pantalon s’accroche à la mitrailleuse de l’avion. L’effet de souffle le propulse et il parvient à retrouver le contrôle de son parachute au prix d’une fracture au bras gauche. Le sergent Jacques Truchon n’aura pas eu cette chance-là. La sangle reliant son harnais à son parachute se rompt brutalement. Il s’écrasera mortellement au sol.
L’appareil continue alors sa chute vertigineuse et menace de s’écraser dans le bourg de Trensacq. Le lieutenant Ehle refuse de quitter l'avion et tente, dans une ultime manœuvre, de dévier de la trajectoire initiale. L’avion percutera le sol de plein fouet dans une parcelle de jeunes pins. La déflagration est telle que les habitants sont appelés en renfort après l’appel du tocsin. Sur place, les flammes grignotent la végétation. Le corps de Lucien Ehle est retrouvé non loin de là.
En l’espace de seulement quelques minutes, cinq aviateurs pourtant expérimentés trouveront la mort en plusieurs lieux de la Haute Lande. Cinq hommes sortiront blessés de cette catastrophe, à des degrés différents : le lieutenant André Le Chapelain, le sergent-chef Victor Quarin, le sergent Gérard Liekens ainsi que les sergent-chefs Jean-Marc Ertle et Denis Gouery.
Dans son édition du lendemain, Sud Ouest rapport une scène des plus tristes « lorsqu’un hélicoptère de la base de Cazaux est venu chercher le corps du lieutenant Ehle. Dans la clairière où l’hélicoptère venait de se poser, un grand silence soudain s’est fait. Les rudes travailleurs de la forêt, droits, immobiles, le béret à la main, ont salué la dépouille de l’infortuné pilote, hommage spontané et ô combien touchant dans sa simplicité. »
À Trensacq, beaucoup n’oublieront pas l’acte du lieutenant Ehle. Une rue porte d’ailleurs son nom dans le village, tout comme à Ecrouves, commune de Meurthe-et-Moselle, où le militaire a vu le jour. Une stèle sera également érigée sur les lieux du crash et reste entretenue notamment par l’Espace Rozanoff, le musée de la base aérienne 118 de Mont-de-Marsan.
Sources : Espace Rozanoff - BA 118 Mont-de-Marsan - Le Mur du Souvenir
Archives Sud Ouest - Édition du 5 mars 1963