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Belin-Béliet : « la peur que la maison ne s’effondre » face à l’affaissement de la vallée de la Gaure

Par Corentin Barsacq

Le grillage du jardin de Maurice Bernadet s'est effondré en mai 2020./Photo LB
Le grillage du jardin de Maurice Bernadet s'est effondré en mai 2020./Photo LB

Depuis plus de dix ans, dans le quartier du Braou, côté Béliet, la vallée de la Gaure s’affaisse au gré des événements climatiques. En 2020, les inondations de mai avaient accéléré le phénomène. Certains riverains n’osent même plus s’avancer vers la pente de leur propriété, et la municipalité ne pourra pas assumer seule l’étendue des travaux de consolidation. Reportage.

 

Derrière le stade Pierre Mano, là où une épaisse forêt occupait les lieux jusqu’au début des années 60, le lotissement du Braou a peu à peu pris ses aises pour accueillir une population locale toujours plus nombreuse au fil des décennies. Si le quartier a des apparences de havre de paix, les grands pins en arrière-plan du décor jouant leur rôle à merveille, certains riverains se sont rapidement détachés de cette image idyllique. En 2017, au moment de s’installer en Gironde après avoir vécu dans les Landes, Émilie Guibbal et Renaud Trebosq avaient eu un coup de cœur pour ce quartier. « On s’est un peu fait avoir » reconnaît aujourd’hui Renaud, les yeux rivés sur des documents administratifs.

 

Lorsque le couple accède à la propriété, ni l’agence en charge de piloter la vente, ni le précédent propriétaire aborde l’épineux dossier du talus du Braou. « On avait vu que le terrain était en pente mais à l’époque, il y avait des arbustes. C’est un peu comme si on avait voulu nous le cacher » se remémore le père de famille, qui a essayé de se retourner après la signature de l’acte de vente. En contrebas de cette maison, passée l’épaisse végétation, le ruisseau de la Gaure, si paisible en apparence, est devenu l’objet de toutes les attentions. Le talus qui surplombe l’affluent de la Leyre s’affaisse, au moins depuis le début des années 2010.

Au bord du vallon, Renaud ne cache pas son inquiétude et imagine le pire.../Photo LB
Au bord du vallon, Renaud ne cache pas son inquiétude et imagine le pire.../Photo LB

Les parents confient ne jamais être trop serein dès lors que des averses de pluies sont annoncées : « C’est très anxiogène. Renaud ne préfère même plus s’y approcher » constate Émilie. Quant aux enfants, ils ont interdiction de s’approcher de la pente. 

 

« Mettre du mercurochrome sur une jambe de bois »

 

À quelques mètres de là, c’est chez Maurice Bernadet que les dégâts sont les plus visibles. La clôture de son jardin a en partie été désossée lorsque la Gaure s’est énervée une nuit de mai 2020, jour du déconfinement. « Tout est tombé d’un coup. Ici, le glissement s’est produit sur toute la longueur » explique le propriétaire des lieux, en montrant l’étendue du phénomène. Aux côtés de son épouse, Sandrine, le Belinétois a rapidement alerté la municipalité. Mais depuis, les actions tardent à arriver selon lui. Deux études ont été réalisées depuis 2018, par deux cabinets distincts. Elles ont notamment permis d’isoler dix parcelles concernées par l’affaissement du talus, soit une longueur aux environs de 420 mètres linéaire : « Tout ce que l’on a fait pour le moment, c’est mettre du mercurochrome sur une jambe de bois » s’inquiète l’habitant. 

Le linéaire assujetti à des glissements du talus mesure aux environs de 420 mètres./Reproduction LB
Le linéaire assujetti à des glissements du talus mesure aux environs de 420 mètres./Reproduction LB

Pour lui, la cause de ce phénomène a été citée dans la première étude menée conjointement par les cabinets d’études Socama et Alios : « Les anciens de Béliet le disent. Quand il n’y avait pas l’étang au Pontricot, le ruisseau s’écoulait mieux ». Un constat relaté dans l’étude de 2018, que Le Belinétois a pu consulter. L’analyse de cartes IGN laisse apparaître la présence de plans d’eau inexistants avant 1950.

 

« Au droit du moulin du Pont, situé en aval immédiat de la zone d’étude, on voit très nettement l’apparition d’un plan d’eau relativement important, pouvant avoir un impact non négligeable sur le lit mineur du ruisseau » relève la société Socama, qui attribue l’érosion du vallon à un ensemble de phénomènes, dont la circulation d’eaux souterraines et leurs résurgences dans le talus. Ces sources, invisibles au premier abord, le sont davantage dans la pente naturelle. 

 

Un habitant du Braou, dont la propriété est également concernée par l’affaissement du talus, s’improvise en homme des bois pour nous montrer ces sources : « Il y en a au moins une qui passe sous notre maison. Et c’est comme ça sur l’ensemble de la ligne » constate ce dernier. L’homme a tenu à rester anonyme en assumant : « J’ai peur qu’en médiatisant le dossier, on ne puisse plus vendre la maison. » Il est vrai qu’en voyant le débit de ces sources, un lendemain d’intempéries, le constat est sans équivoque. 

 

« On ne peut pas faire ce que l’on veut » insiste le maire

 

Reste que les actions qui peuvent être menées par la municipalité doivent obéir à des lois bien pointilleuses. C’est ce que martèle le maire de Belin-Béliet Cyrille Declercq : « On est sur un site Natura 2000 donc on ne peut pas faire ce que l’on veut ». Les études ont démontré la présence d’au moins 61 espèces protégées sur le site, tandis qu’une zone humide occupe la quasi-totalité de l’espace. 

Le maire Cyrille Declercq a demandé la réalisation d'une étude dès sa prise de fonction./Photo LB
Le maire Cyrille Declercq a demandé la réalisation d'une étude dès sa prise de fonction./Photo LB

Au regard du coût des solutions envisagées, la municipalité fera surtout ce qu’elle peut : « Avant les inondations de mai 2020, on était sur un montant aux alentours de 600 000 euros. Aujourd’hui, on parle de 1,6 millions d’euros ». L’édile rappelle que « le dossier est très ancien et date du début des années 2000 ». « Plusieurs phénomènes se sont accumulés avec la présence de sources, un sol feuilleté argileux mais aussi les évolutions climatiques ». À ce constat, Cyrille Declercq ajoute également le dépôt de déchets verts, nombreux sur la zone selon une seconde étude menée plus récemment : « Ce ne sont pas les déchets verts qui ont causé l’affaissement du talus, mais cela y contribue et il faut l’entendre ». 

 

Lorsqu’il était élu d’opposition, l’actuel maire avait multiplié les questionnements à la majorité alors en place quant aux solutions envisagées. Dès lors qu’il a pris les commandes de la Ville, l’édile a souhaité réaliser une autre étude, cette fois-ci menée sous l’égide du cabinet Antea Groupe, entre 2020 et 2021. Une période phare dans ce dossier qui correspond à une amplification du phénomène de glissement de terrain : « La collectivité a fait mettre en évidence quatre points fragilisés sur une longueur de 600 mètres. »

 

Il ressort de cette étude quatre potentiels facteurs expliquant cet affaissement : une pente trop raide, la présence d’une « nappe perchée qui diminue les caractéristiques mécaniques des alluvions », l’action de la végétation et la chute d’arbres favorisant l’arrachement des terrains mais aussi l’action des eaux de ruissèlement, qui contribuent à l’érosion. L’étude de 133 pages préconise diverses actions en fonction des zones touchées : la réalisation d’un réseau de drainage et d’un mur de soutènement de 3 à 4 mètres de hauteur, des travaux de terrassement ou encore le confinement du talus par grillage associé à une géonatte anti-érosion. Dans l’étude commandée par la municipalité actuelle, à aucun moment la présence de l’étang de l’ancien moulin du Pontricot n’est citée comme étant un facteur favorisant l’érosion du talus. 

 

Un coup de pouce de l’État serait le bienvenu

 

De quoi laisser perplexe Maurice Bernadet, qui a décidé de lancer une action en justice. Pour l’heure, Émilie Guibbal et Renaud Trebosc éludent cette possibilité, mais partagent un point commun avec Maurice Bernadet. Le propriétaire qui a vendu le terrain à Maurice Bernadet n’est autre que la municipalité, quand la parcelle qui s’effondre au pied de la maison du couple du Braou appartient encore à la Ville : « On a manqué de vigilance » souffle Renaud Trebosc. Pour Cyrille Declercq, l’affirmation reste inexacte : « L’étude a révélé que les zones les plus touchées appartiennent à des propriétaires privées. Les parcelles de la municipalité ne représentent qu’une petite partie du linéaire ». 

 

La mise en œuvre de ce vaste chantier doit maintenant se préciser en fonction de nouvelles investigations sur le talus  : « Nous avons récemment décidé de faire un complément d’études pour que l’on nous dise ce que l’on doit faire » explique Cyrille Declercq, qui a souhaité que l’État entre dans le suivi du dossier. En juin 2022, le sous-préfet d’Arcachon Ronan Léaustic s’est rendu sur place en présence du Bureau de Recherches Géologiques et Minières. (BRGM). Une réunion publique avait également eu lieu en présence des riverains concernés par la problématique afin de faire part de l’avancement du dossier. Une deuxième visite du sous-préfet a permis de réunir les différentes instances impliquées dans le dossier.

Le coût de la consolidation est colossal pour la municipalité./Photo LB
Le coût de la consolidation est colossal pour la municipalité./Photo LB

Reste maintenant à convaincre l’État de mettre la main à la poche car une certitude demeure : « La commune n’a pas les moyens d’assumer seule le coût des travaux, ou alors cela se fera au détriment de plein de choses. C’est pourquoi nous essayons de voir si l’État peut nous aider, et sous quelle forme. »

 

Les subventions ? « Il n’en existe que très peu en lien avec l’érosion des sols ». Le fonds Barnier, qui permet notamment de soutenir les mesures de protection des personnes ou des biens exposés aux risques naturels majeurs ? La commune s’est déjà tournée vers l’instance mais cette dernière a répondu par la négative. La réalisation du complément d’études constitue donc une dernière étape avant une nouvelle problématique : « Où trouver les financements ? » Pour les riverains, l’urgence est là : « Un voisin a dû refaire sa piscine à cause des mouvements des sols. Aujourd’hui, on a peur d’être exproprié » reconnaît un habitant. Un autre imagine même le scénario du pire : « On ne sait pas si dans dix ans, la maison sera encore là ». Un autre habitant est sceptique : « On nous parle de dériver les sources, couper des arbres ou encore faire des paliers. Je ne suis pas convaincu ».

 

En l’espace d’une décennie, le vallon de la Gaure a déjà connu une profonde métamorphose. Le petit sentier permettant d’accéder au ruisseau n’est désormais plus qu’un lointain souvenir des lavandières qui venaient y rincer le linge. « Finalement, le chemin le plus court pour s’y rendre, c’est depuis mon jardin » observe un retraité, laconique face au recul du trait du vallon : « Si la maison tombe, je tomberai avec ».