Père fondateur de la marque de cycles qui portera son nom jusque dans les années 70, Louis Cazenave a vu le jour le 3 juin 1883. Retour sur l’ascension d’un modeste homme du cru devenu entrepreneur avant l’heure.
« J’ai entendu dire dans mon enfance, et appris par la suite, qu’il y a trois moyens pour réussir dans la vie et s’assurer un avenir moyen. Ce sont une conscience droite, le travail, l’économie ». Dès les premières lignes de son autobiographie écrite en 1954, Louis Cazenave livre le secret de sa réussite. Sans prétention, sans modestie non plus, il avait livré son parcours en détail dans le livre humblement baptisé « Ma vie », paru quatre ans avant sa mort. Une vie riche d’aventures, de prises de risque pour un homme qui aura marqué son époque. Plus jeune bambin d’une fratrie composé de trois enfants, Louis Cazenave voit le jour le 3 juin 1883.
À l’époque, la famille est établie à Hostens d’après les recherches de la Société historique et archéologique d’Arcachon. Le père de Louis Cazenave est conducteur de locomotives à la Société générale des chemins de fer économiques. C’est lui qui assure le train quotidien reliant Hostens à Lacanau Médoc. Au sujet de sa mère, Louis Cazenave la qualifie de « digne femme et digne épouse ». Elle travaille tout d’abord dans une fabrique de paillons pour bouteilles puis à la scierie Bourrieu et Douence.
Si la plupart du temps, le métier des aïeuls d’un protagoniste principal peut être perçu comme anecdotique, il s’agit en réalité d’une première pierre précieuse dans la saga des Cazenave. « Par leurs efforts conjugués de travail et d'économie, mes parents réussirent à faire construire trois maisons dont la vente, plus tard, procura 7 000 francs, somme qui fut partagée, en accord complet, entre nous trois » écrit le futur industriel.
Économe, il place son argent de poche à la banque
Après l’obtention de son certificat d’études à l’âge de 12 ans, Louis Cazenave fait face à un premier choix important : gagner sa vie par le travail, poursuivre ses études ou bien entrer dans les ordres comme l’incite le prêtre d’Hostens. Féru de travail, le jeune homme rejoint sa mère pour confectionner des paillassons puis des panneaux de caisses. Cette dernière lui laissait alors l’argent récolté par son travail. Des sommes que l’Hostensois collecte dans une tirelire avant de les placer à la Caisse d’épargne. Quelques années plus tard, le voici employé au sein d’une scierie. « J’étais tireur derrière une scie à ruban à dédoubler » explique-t-il quatre ans avant sa mort. Le métier est dur, mais forge en lui le prix de l’effort et du sacrifice.
Il n’a même pas 18 ans lorsqu’il parvient à décrocher un emploi dans une autre scierie, d’abord à Hostens, puis à Joué, où il se rend en bicyclette. Pour préserver au maximum une petite richesse qui n’avait à l’époque rien de notable, Louis Cazenave vit le plus simplement possible, dort dans une cabane près de la machine à vapeur et cache cette situation à ses parents. Quelques années plus tard, en 1899, il décroche un poste dans la scierie de M. Domecq. Travaillant une bonne partie durant la nuit, il loue un petit local dans la rue Sainte-Quitterie pour installer un magasin de réparation et de vente de bicyclettes. Les prémices d’une juteuse aventure économique.
Finalement, il lâche son poste en 1901 pour se consacrer pleinement à sa boutique alors en plein essor. Louis Cazenave vient d’embaucher un premier ouvrier. Un second local est acheté par l’Hostensois de souche qui décide d’embaucher 15 ouvriers supplémentaires tandis que le premier bâtiment est désormais dédié uniquement à la vente.
À l’ancienne, c’est Louis Cazenave qui, épaulé par son frère qu’il avait embauché, livre les commandes directement chez ses clients. Le coup de maître intervient lorsque l’entreprise décroche un précieux contrat avec La Poste. Les facteurs du territoire roulent avec ses vélos et la publicité porte ses fruits. Désormais installé à Belin, il rachète la verrerie située à la sortie du village et créer sa première véritable usine. Désormais capable de produire des cycles à la chaîne, il démultiplie sa force de frappe en installant des dépôts à Hostens, Salles, Arcachon, La Teste, au Barp ou encore à La Brède. Le succès est au rendez-vous. Cazenave devient peu à peu une marque reconnue. À ses meilleurs employés, il confie la gestion des dépôts.
Une fonderie créée pour la fabrication d’obus
« J'allais de succès en succès, je travaillais tant que je le pouvais et ma femme me secondait dans les écritures, nous avions à cœur de développer de plus en plus notre affaire de cycles. Pour obtenir ce résultat, j'employais le procédé suivant : j'adressais deux bicyclettes par fer, franco, à des agents de cycles de diverses régions, je leur écrivais en leur demandant d'en prendre livraison, de les faire rouler pendant huit jours, après quoi, s'ils ne voulaient pas les garder, de me les envoyer en port dû, gare de Belin, je leur faisais connaître le prix de 77 francs auquel je les facturerais s'ils les gardaient. »
Durant la Première Guerre mondiale, face à la demande de l’État d’être approvisionné en obus à partir de 1915, Louis Cazenave décide de créer sa fonderie. Il ouvre aussi plusieurs scieries pour participer à l’effort de guerre sur le marché du bois. Début 1919, le chef d’entreprise est contraint au repos forcé après avoir ressenti une douleur aiguë à la colonne vertébrale. Des maux difficiles à apaiser qui l’entraînent dans la conception d’un appareil roulant lui permettant de rester allongé tout en pouvant se rendre au bureau de ses ateliers.
Moulé plus tard dans un corset, Cazenave découvre, par sa maladie, le bienfait du transport équipé de roue. C’est ainsi qu’en 1931, pour soulager les muletiers qui évacuaient les billons de la coupe jusqu’à la scierie, il lance sa première charrette sur des pneus et parvient à convaincre Michelin et Dunlop de l’opportunité qui se présente face à eux. Durant la Seconde guerre mondiale, l’un des fils de Louis, Franck, futur maire, député et résistant, est appelé sur le front. À l’arrière, Louis Cazenave avait précieusement gardé des marchés de guerre. Aux côtés de Guy, son autre fils, il exécute les commandes de l’État avant que l’occupant allemand n’arrive à Belin.
2000 personnes présentes à ses obsèques
L’après-guerre est florissant pour les usines de cycles Cazenave qui emploie jusqu’à 700 personnes en 1954. Des bus sont affrétés depuis Bordeaux ou Bazas pour se rendre à Belin tandis qu’aux abords des usines, 130 maisons sont construites pour loger les ouvriers. Cazenave semble avoir atteint le point culminant de son existence. Louis Cazenave n’aura pas le temps de voir son empire s’affaisser. Il décède à l’âge de 71 ans le lundi 20 janvier 1958. Sa disparition fait la Une de « Sud Ouest ». Plus de 2000 personnes assisteront à ses obsèques à Belin. Marié à Fernande Herreyre, Louis Cazenave aura donné naissance à quatre enfants. Guy, Franck, Gisèle décédée à l’âge de deux ans, puis l’industrie de cycles à Belin. Reprise par Franck Cazenave, l’entreprise perdra peu à peu de sa superbe lorsque surviendront les premières vagues de licenciements à partir de mai 68…
La suite est connue. La fermeture de l’usine n’est plus qu’une évidence au milieu des années 70. Une lente agonie à la fois pour la marque comme pour les ouvriers qui quittent Belin après avoir occupé illégalement l’usine à la recherche d’un espoir de reprise de l’activité. Le principal employeur de la commune n’est plus et disparait officiellement en 1975, plongeant la localité dans une importante crise économique. Cette funeste issue aura au moins eu le mérite de forcer la fusion entre Belin et Béliet.
Louis Cazenave restera de ceux qui auront dédié leur vie à une industrie partie de rien. Et si la fermeture des usines fut un véritable drame économique pour le territoire, nul doute que la marque Cazenave a contribué à faire de Belin l’un des fleurons en matière de production de cycles.
Sources: Mémo Vélo : les Usines Cazenave à Belin-Béliet
Société historique et archéologique d'Arcachon - Bulletin n°57 3e trimestre 1988