Par Corentin Barsacq
À Belin-Béliet, dans les quartiers de Joué, Boutox, ou encore au Meynieu, 9 maisons et 8 dépendances ont été dévastées par l’incendie de Saint-Magne dans la nuit du 9 au 10 août 2022. Un an plus tard, des sinistrés de Belin-Béliet témoignent des difficultés qu’ils rencontrent aujourd’hui pour obtenir ce qu’ils souhaitent depuis le premier jour du feu : reconstruire leur maison.
Une course d’obstacles. C’est le terme qui semble convenir à Isabelle de la Cellery et Andy Papacotsia pour définir « l’après-incendie ». Le couple vivait depuis 1991 en bordure du chemin de Fraye, à quelques pas de la route de l’Ameliet à Joué. Des obstacles, les flammes de Saint-Magne en avaient pourtant avant d’atteindre le lieu-dit de Fraye dans la nuit du 9 au 10 août.
Lorsque le couple est sommé d’évacuer le cocon familial, l’angoisse face à l’avancée du feu laisse place à la sidération : « J’étais sous le choc en rentrant du travail, lorsque j’ai vu toute cette fumée. Puis un élu de la Ville est venu nous dire qu’il fallait partir, nous n’avons pris que ce qui était vital » explique Isabelle de la Cellery. Son mari, Andy Papacotsia, avait foi en l’entretien des abords de l’airial : « On avait conscience de cet élément de risque. Je débroussaillais régulièrement, je connaissais la législation » insiste cet ingénieur écologue désormais à la retraite.
« C’est tout notre passé qui a brûlé »
Hébergée temporairement du côté de Belin, chez des amis, la famille apprend la nouvelle dès le lendemain matin. Tom, le fils, était rentré à son appartement à Bordeaux et avait suivi l’évolution du feu par le biais des images satellites transmises quasiment en temps réel : « Il m’a appelé le matin en pleurs en me disant que le feu était passé sur Joué » explique sa mère, Isabelle. Finalement, c’est Andy Papacotsia qui aura la terrible confirmation : « Chez toi, tout brûle » l’informe un ami resté sur place. Les cris et les pleurs, Isabelle s’en souvient comme si c’était hier : « On se retrouve à la rue, on cherche à savoir comment le feu est passé… C’est quelque chose de terrible. C’est tout notre passé qui a brûlé. »
À quelques pas du chemin de Fraye, séparée par ce qui était auparavant une forêt bien plus dense, la maison de Carole et Patrice Le Moullec arbore cette même couleur brune consumée. Le couple a vécu la même soirée que les sinistrés de Fraye. La fumée, l’odeur du brûlé, l’alerte, puis l’évacuation. Ancien sapeur-pompier volontaire, Patrice Le Moullec en connaît un rayon sur les feux, comme sur les maisons.
L’homme aux plusieurs vies, a bâti de ses propres mains ce havre de paix. Depuis huit ans, Carole Le Moullec et lui habitaient cette maison équipée d’un couloir de nage de quelque 25 mètres. « S’il avait été rempli au moment de l’incendie, je serais resté là » pense Patrice, qui passera la nuit du 9 au 10 août à la piscine de Salles, où il n’est autre qu’éducateur sportif. Mais de là-bas, l’homme assiste impuissant à la progression des flammes. « J’ai eu comme un pressentiment. Je voyais au loin cette lumière de l’incendie dans la nuit et je me disais que c’était peut-être ma maison. »
Quelques heures plus tard, le couperet tombe. Patrice parvient à franchir les différents barrages pour rallier Joué et voit se dresser devant lui l’inimaginable : « Sur le moment, on est par terre. On se dit que le feu a choisi ses maisons. J’avais eu un appel m’informant que la maison avait été touchée, mais j’avais besoin de voir si c’était vraiment la mienne. »
« On comprend que la partie va se jouer avec les assurances »
Seules les briques sont restées debout. Quant à Patrice, il a tout de suite voulu se relever : « La réflexion est rapide. On se rappelle vite qu’on est assuré et on comprend après que la partie va se jouer avec les assurances ». En apparence, un an plus tard, la partie n’a pas encore débuté. Mais le match se joue surtout en interne. Aussi bien pour Patrice que pour Isabelle et Andy, tout est resté en l’état depuis le passage des flammes : « Je crois qu’il n’y a qu’une seule maison qui a pu être déblayée parmi les sinistrés » relève Patrice. Si les deux couples ont été relogés grâce à des particuliers proposant des biens à la location, leur loyer est pris en charge par l’assurance jusqu’en août 2024.
Le compte à rebours est donc lancé et constitue une véritable épée de Damoclès. Patrice Le Moullec le dit sur un ton léger mais faussement amusé : « Dans un an, je suis à la rue. » Il explique la situation : « Nous en sommes au quatrième chiffrage. Deux experts sont venus sur place et préconisent de garder 5 murs sur 12. La reconstruction d’une maison, ça peut aller vite. On peut la refaire en six mois » assure celui qui a également un passé d’artisan dans le bâtiment à son arc bien rempli. Le couple attend le feu vert des assurances et le montant des remboursements pour lancer le vaste chantier.
En attendant, un autre problème demeure, celui du loyer : « On peut se permettre d’avancer le loyer grâce aux cagnottes initiées au lendemain des incendies. Sans ça, ce serait compliqué. Il faut parfois rouspéter auprès de l’assurance pour se faire régler le mois de loyer dans les temps. C’est quand même stressant ».
Une situation vécue également par Isabelle et Andy : « Nous avons une enveloppe avec un budget.» Mais encore faut-il que ce budget corresponde à leurs dépenses : « Il arrive parfois que l’on soit juste. On doit garder chaque note et l’envoyer à l’assurance. Au début, on a un peu l’impression de devoir rendre des comptes à chaque minute » explique Isabelle. Le couple ne détaille pas non plus les embûches rencontrées pour effectuer des changements d’adresse : « Pour le téléphone, l’électricité ou Internet, c’est très compliqué. On n’entre dans aucune case donc c’est difficile de faire comprendre qu’il ne s’agit pas d’un déménagement ». En parlant d’électricité, le compteur électrique du couple a cessé d’émettre le 10 août à 4h du matin. Alors au moment où la facture reçue quelques jours plus tard indiquait une consommation énergétique allant jusqu'au 16 de ce même mois, Andy Papacotsia a quelque peu durci le ton.
« On doit faire abstraction de ce qu’on avait auparavant »
En somme, la famille désormais installée au Graoux a l’impression de vivre des montagnes russes : « Les jours qui ont suivi l’incendie, l’assurance nous a incité à rapidement nous rapprocher d’un architecte pour définir notre projet alors même qu’aujourd’hui, on ne sait pas ce qui sera remboursé » souffle Isabelle. Et pour cause, le hangar situé sur la propriété familiale, également réduit en cendres, pose problème. Sa superficie supérieure à 50 m2 doit faire l’objet d’un avis du Service départemental d’incendie et de secours : « Les règles d’urbanisme ont changé donc nous ne savons pas si le hangar sera reconstruit ou non. Nous avons mis des années à économiser pour le restaurer » se souvient la sinistrée.
« Nous ne savons pas si nous retrouverons une qualité de vie identique à ce que nous avions » pense de son côté Andy. « On doit faire abstraction de ce qu’on avait » poursuit Isabelle. Sur leur parcelle, rien n’a été déblayé, rien n’a été rebâti, mais le temps file. Pour le déblaiement, le couple parle d’un acompte à verser de 17 000 euros en raison de la présence d'amiante. Et l’assurance ne peut pas tout prendre en charge. « Ce sont des grosses sommes à verser et nous avons dû batailler pour que l’assurance nous fasse une avance ».
Là encore, la solidarité au lendemain du feu permet à la famille de se sentir soutenue : « Le concert solidaire et la cagnotte nous ont fait beaucoup de bien » insiste Isabelle. « Finalement, on n’est pas armés pour vivre ça tout seul » conclut Andy, un brin laconique au moment d’aborder la reconstruction : « Tout cela deviendra concret lorsque la maison sera hors d’eau hors d’air. »
Patrice Le Moullec veut quant à lui forcer le destin : « S’ils tiennent les délais annoncés, nous retournerons chez nous dans douze mois. Mais je pense que l’on devrait peut-être s’unir, entre sinistrés, pour refaire parler de nous et médiatiser nos situations. » Un an plus tard, la majeure partie des sinistrés est donc dans l’attente d’un avenir plus concret, mais surtout plus sûr. À cet égard, la crainte d’Andy Papacotsia semble trancher avec un optimisme qu’il aimerait pourtant afficher : « Si notre maison est rebâtie mais qu’on replante la même forêt autour de chez nous, on aura droit au même incendie dans vingt ans. C’est une certitude. »