Par Corentin Barsacq
Le 21 novembre 2018, le jeune Thybault Duchemin, harcelé au collège, se donnait la mort à son domicile dans l’Essonne. Cinq ans plus tard, Karine et Nicolas, ses parents qui habitent désormais au Barp, ont fait du harcèlement scolaire un combat de chaque instant.
Ce vendredi 1er décembre, à 19h30, Karine Duchemin, présidente de l’association « Élève ta voix » animera une conférence organisée à la salle des fêtes de Salles dans le cadre du projet « Des mots sur les maux », initié par la commune de Salles afin de lutter contre le harcèlement scolaire. Plus tôt dans la semaine, cette maman de trois enfants a animé une formation à destination des animateurs de la commune autour du harcèlement. Et quelques jours après cela, son mari Nicolas et elle embarquaient en direction de Genève, pour être entendus par l’office des Nations unies à Genève. « Nous avons proposé des amendements en lien avec le climat scolaire et le harcèlement à l’école. Ils ont tous été adoptés » se félicitait le couple, de retour au Barp ce mercredi.
Il faut dire que l’intervention de Karine Duchemin a été particulièrement marquante au micro des Nations Unies. « Après chaque suicide, on se rend compte que l’enfant avait parlé, que ses parents avaient alerté » explique-t-elle. La Barpaise sait de quoi elle parle. Quand son fils Thybault est entré au collège, les premières moqueries ont commencé. Puis les premières insultes, les menaces de mort, les « jeux » d’humiliations, les violences…
« Un jour, un camarade a voulu montrer à Thybault que c’était lui le maître. Mon fils lui a répondu. Après ce jour-là, les violences se sont multipliées. Mon fils a eu le bras dans un plâtre mais ça ne suffisait pas. Au collège, ils lui ont enlevé son attelle pour de nouveau le frapper » relate sa maman, qui n’a eu de cesse d’alerter ce collège situé dans l’Essonne, en vain.
Une première tentative de suicide
Durant plusieurs semaines, le gamin jovial de l’époque, joueur de handball, s’est mué dans le silence avant d’admettre, devant un médecin, qu’il avait tenté de se suicider. « Il a expliqué qu’il avait renoncé, car sa sœur venait d’entrer dans sa chambre. À ce moment-là, nous avons décidé de le changer d’établissement. Mais là-bas, il a de nouveau été passé à tabac » se souvient Karine Duchemin. La mère de famille pensait qu’un déménagement à plus de 500 kilomètres de là, en Gironde, serait le signe d’un nouveau départ pour son fils.
Le 21 novembre 2018, quatre semaines avant de quitter la région, Thybault, 12 ans, se donne la mort par pendaison. Une première enquête a classé l’affaire sans suite. Le dossier est encore entre les mains du tribunal administratif afin de faire toute la lumière sur de potentielles errances : « On m’a expliqué que mon fils s’est suicidé car il était dépressif. Notre objectif est de montrer qu’il y a eu des manquements pour que ça ne se reproduise plus. À force de fermer les yeux sur le harcèlement scolaire, on le justifie. On donne une légitimité à son existence » martèle le couple.
Depuis le Val de l’Eyre, Karine préside l’association « Élève ta voix » qui dispose d’une antenne en région parisienne ainsi qu’en Vendée. Derrière cette structure fondée par les parents de Thybault, un altruisme au profit des victimes de harcèlement scolaire : « Plus aucune famille ne doit subir la douleur que nous vivons au quotidien. C’est pourquoi nous nous sommes penchés sur des outils qui permettent de mieux lutter contre le harcèlement et de reconnaître les victimes. »
Des outils pour mieux déceler et comprendre le harcèlement
Sensibiliser les jeunes mais aussi les adultes, répéter et communiquer autour du harcèlement sans oublier la nécessité de former les professionnels sur le bien-être à l’école aux côtés de l’association « Marcelment ». Telles sont des premières actions primordiales à mettre en place : « Il faut désormais entendre la parole de l’enfant et donner les moyens aux établissements de comprendre le harcèlement. Aujourd’hui, quand le personnel de l’éducation nationale parvient enfin à écouter un enfant harcelé, on va lui demander des preuves probantes. Et pendant ce temps-là, l’enfant souffre et a le sentiment qu’on remet en doute sa parole. Dans certains cas, on ira même jusqu’à lui expliquer que c’est de sa faute parce qu’il est différent. Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai entendu dire « Oui mais c’est parce que je suis faible, introverti, homosexuel, grand, gros, petit. Le harcèlement peut tomber sur n’importe qui. Nous sommes tous différents de quelqu'un. »
Enfin, Élève ta voix accompagne les familles dont les enfants sont victimes de harcèlement à l’école : « Le but est de créer un maillage local et de créer une cohésion entre tous les acteurs de la chaîne comme les collectivités locales, les parents, l’Éducation nationale, les acteurs paramédicaux. Si nous parvenons à créer un projet éducatif global, tous les adultes auront le même vocabulaire » complète Karine Duchemin.
« Comment la sécurité de nos enfants peut-elle être optionnelle ? »
Depuis la disparition tragique de son fils, Karine Duchemin a multiplié les apparitions dans les médias afin de porter le message universel « Non au harcèlement ». Son témoignage sur un plateau télévisé a notamment été vu plus d’un million de fois sur YouTube et dans la sphère locale, les soutiens ont été nombreux : « Les clubs de handball de Belin-Béliet et du Barp organisent un tournoi contre le harcèlement. À Marcheprime et dans le Val de l’Eyre, les communes forment désormais leurs animateurs sur le harcèlement » se félicite la mère de famille. Enfin, l’association espère pouvoir intervenir auprès de tous les élèves en classe de CM2 du Val de l’Eyre afin de les sensibiliser sur cette cause.
Devant les représentants des Nations unies à Genève en début de semaine, l’intervention de Karine Duchemin a provoqué des applaudissements nourris au moment de défendre l’instauration d’une journée du climat scolaire : « Combien de vies gâchées pour agir ? », questionnait-elle avec force, tout en dénonçant le caractère optionnel des cours d’empathie pour la rentrée 2024 :
« C’est navrant de voir que cette action est proposée sur la base du volontariat. C’est navrant qu’après tous ces drames, on puisse encore présenter un outil comme optionnel et non pas obligatoire. Comment la sécurité de nos enfants peut-elle être optionnelle ? ».
Avec l’appui d’une quinzaine de bénévoles, l’envergure de la lutte contre le harcèlement ne fait pas peur à Karine et Nicolas Duchemin qui le répètent, non pas pour se rassurer, mais pour convaincre les plus sceptiques : « On peut se sentir découragé face à la grandeur de la tâche, mais si chacun pouvait ramasser la pierre devant son pied, on pourrait renverser la montagne. »
La conférence menée par Karine Duchemin se déroulera ce vendredi 1er décembre à 19h30 à la salle des fêtes du bourg à destination des parents, familles et acteurs du monde éducatif. Inscription par mail à labosalles@ville-de-salles.com ou au 06 29 11 60 73.