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Val de l’Eyre : rescapée d’Auschwitz-Birkenau, Ginette Kolinka face aux collégiens de Salles

Par Corentin Barsacq

Ginette Kolinka, un visage rayonnant malgré la dureté d'une vie marquée par la guerre./Photo LB
Ginette Kolinka, un visage rayonnant malgré la dureté d'une vie marquée par la guerre./Photo LB

Déportée dans les camps de concentration à l’âge de 19 ans, Ginette Kolinka a, de ses propres mots, « vécu l’enfer ». Elle était au collège de Salles, le vendredi 19 janvier, pour parler de son enfance, de sa déportation, du camp d’Auschwitz-Birkenau, et d’un traumatisme longtemps passé sous silence.

 

Elle s’est décidée à parler à l’orée des années 2000, un peu par hasard, « avec la peur de déranger ». Ginette Kolinka a aujourd’hui 98 ans. Depuis bien des années maintenant, elle sillonne le territoire national pour porter la parole de celles et ceux qui ne sont pas revenus des camps. Parmi eux, son petit-frère et son père, âgé de 12 et 61 ans au moment de leur mort dans le camp d’Auschwitz-Birkenau, ainsi que son neveu. Alors dans ce grand gymnase, forcément, l’agitation était de mise avant que la sexagénaire ne pénètre, en fauteuil roulant, dans l’enceinte sportive. Une poignée de secondes suffira pour que les applaudissements nourris prennent le dessus.

 

À l’estrade, aidée par une enseignante du collège, Ginette Kolinka sort de sa valise des photographies en noir et blanc. Le portrait de son père, celui de son petit frère, ou encore des clichés des camps. Au moment de montrer les visages de ses proches, elle questionne : « Est-ce que vous trouvez que nous sommes normaux ? » L’assemblée acquiesce, ce qui permet à Ginette Kolinka de délivrer une parole poignante : « Nous étions juifs, mais nous étions simplement des êtres humains ».

 

« C’était la Gestapo. Nous avions été dénoncés »

 

Derrière cette nonagénaire encore pétillante malgré l’âge, l’histoire de Ginette Cherkasky, son nom de jeune fille : « Forcément, ça ne sonnait pas Breton » s’amuse-t-elle. Issue d’une famille juive installée à Paris, elle fuie en zone libre en juillet 1942, à l’aide de faux papiers pour trouver refuge à Avignon. Toute la famille se met au travail, Ginette et ses cinq sœurs font les marchés sur les remparts d’Avignon. En mars 1944, rentrant chez elle à l’heure du déjeuner, Ginette fait face à trois hommes : « C’était la Gestapo, nous avions été dénoncés ». Le père de Ginette, son frère Gilbert, âgé de 12 ans et son neveu de 14 ans sont arrêtés tout comme elle. La famille est d’abord emprisonnée à la prison d’Avignon, puis celle des Baumettes à Marseille.

L'entrée du camp d'extermination d'Auschwitz-Birkenau./Photo DR
L'entrée du camp d'extermination d'Auschwitz-Birkenau./Photo DR

Une situation temporaire avant d’être internée au camp de Drancy : « Je savais que nous étions transférés dans des camps pour travailler. J’imaginais qu’on était ensuite emmenés dans les champs ou à l’usine », pense, naïvement, la jeune fille de l’époque, alors âgée de 19 ans.

 

Le 13 avril 1944, elle monte à bord d’un convoi en direction d’Auschwitz-Birkenau. « Il y avait très peu d’air. Mon père était content d’avoir pu dissimuler une deuxième couverture. Il était tellement maigre qu’il avait pu la cacher dans son pantalon. » À bord du même convoi d’une certaine Simone Veil, Ginette Kolinka aperçoit, à son arrivée à Auschwitz, la silhouette d’une cheminée : « En arrivant là-bas, je me suis dit que je l’avais enfin devant moi, cette usine que je m’imaginais »

 

« Hitler voulait nous humilier »

 

Aussitôt les portes du wagon ouvertes, que des soldats nazis sortaient de force les déportés juifs. « Mon père et mon petit frère étaient très fatigués. Des camions étaient justement là pour emmener directement les malades et les personnes faibles. Je leur ai dit de grimper dessus afin qu’ils ne soient pas obligés de marcher » explique alors Ginette Kolinka. Dans un silence pesant, elle poursuit : « Mais les soldats étaient pressés. Mon père et mon frère sont montés dans le camion, je n’ai pas eu le temps de leur dire quoi que ce soit. Je voulais leur faire un petit bisou, mais je n’ai pas pu ».

 

Ce sera la dernière fois que Ginette verra son père et son petit-frère, assassinés quelques heures plus tard. Son neveu sera également tué lors de sa déportation. Ginette, elle, rejoindra le camp des femmes où elle intégrera les commandos de travail : « Hitler voulait nous humilier. Lors de notre arrivée, nous étions déshabillées devant des inconnus. Une fois nues, nous étions rasées. Nous passions ensuite à la douche froide et n’avions aucune serviette pour nous essuyer. »

"Retour à Birkenau" évoque le récit autobiographique de Ginette Kolinka avec Marion Ruggieri./Repro Editions Grasset
"Retour à Birkenau" évoque le récit autobiographique de Ginette Kolinka avec Marion Ruggieri./Repro Editions Grasset

Les coups, la violence et l’humiliation feront partie de la vie de Ginette Kolinka jusqu’en avril 1945. En octobre 1944, alors même qu’elle est trop faible pour aller travailler, un train l’emmène vers le camp de Bergen-Belsen : « C’était des trains où les gens mourraient. Au cours du trajet, j’étais assise à côté d’une dame qui n’arrêtait pas de tomber sur moi dans son sommeil. Une fois, deux fois… À la troisième, je l’ai directement relevée et elle s’est effondrée. Elle était morte » raconte-t-elle, sobrement. En mai 1945, les Alliés libèrent les camps. Ginette Kolinka contracte le typhus et est hospitalisée au moment de la fin de la guerre. À son retour à Paris, elle retrouvera quatre de ses cinq sœurs encore en vie, ainsi que sa mère.

 

Du numéro de téléphone à Tibo Inshape

 

Les premiers applaudissements viennent clôturer ce dur récit, mais la nonagénaire n’en veut pas. De sa vie dans les camps, Ginette Kolinka n’a d’abord gardé que son matricule gravé dans sa chair : « 78599 ». « Je ne voulais plus du tout penser à la guerre. Je ne voulais pas voir ce matricule, je le couvrais d’un pansement en été. Et puis un jour, en voyant ce numéro, un homme m’a dit « Vous avez peur d’oublier votre numéro de téléphone ? » J’ai cru que c’était une blague. Je pensais que tout le monde connaissait l’histoire des camps » se remémore celle qui, à partir des années 2000, acceptera de parler.

Lorsqu’une collégienne lui demande si elle a pardonné, Ginette Kolinka est catégorique : « Il n’y a aucun pardon pour les nazis de l’époque. Il n’y a aucune rancœur envers les Allemands d’aujourd’hui. J’ai vécu l’enfer, je vois encore les coups, mais je ne les sens plus ».

Les questions des collégiens ont été particulièrement pertinentes./Photo LB
Les questions des collégiens ont été particulièrement pertinentes./Photo LB

Une autre question émane d’un collégien évoquant l’apparition de Ginette Kolinka au côté du vidéaste français Tibo InShape : « Je ne savais pas qui était ce jeune homme. Il m’a contacté par téléphone en me disant qu’il voulait que je raconte ce que j’avais vécu. Il m’a fait une drôle de publicité. Je ne savais pas qu’il était culturiste, il ne s’est pas déshabillé devant moi…ce que je regrette » rétorquait la rescapée des camps, provoquant les rires de l’assemblée. Alors, sur un ton plus sérieux et pour conclure son intervention, Ginette Kolinka transmet le flambeau : « Maintenant, vous êtes les passeurs de mémoire. C’est sur vous que comptent mes camarades qui n’ont pas survécu. Il faut parler de tout cela ».

 

Après la guerre, Ginette s’est mariée à Albert Kolinka, ancien prisonnier de guerre. Tous les deux ont eu un enfant, Richard Kolinka. Hasard ou non, en plein milieu de l’intervention de Ginette, la sonnerie du collège entonnait « Je rêvais d’un autre monde » du groupe Téléphone. Richard en est le batteur, mais Ginette pourrait très bien en être l’inspiration.