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Val de l’Eyre : le groupe Béliet, la résistance au temps des parachutages

Par Alain Labarbe

"Gastounet", le muletier de Béliet, avait gardé des containers largués par les Alliés./Photo d'illustration Musée de la résistance en ligne
"Gastounet", le muletier de Béliet, avait gardé des containers largués par les Alliés./Photo d'illustration Musée de la résistance en ligne

Pour les 80 ans de la Libération, Le Belinétois consacre une série d’articles à la résistance sous l’occupation allemande au travers d’une évocation du groupe Béliet. Une évocation, car l’auteur se base sur des souvenirs familiaux et des sources ouvertes afin de rédiger cet article qui n’a aucune prétention d’exactitude historique.

 

Du 20 mars au 4 mai 1943 et du 1° mars au 28 août 1944. Telle est la durée d’homologation du groupe de Béliet dans la résistance active. Groupe de Béliet ou groupe de Belin-Beliet ? On ne sait trop. Disons pour simplifier, qu’il y avait un groupe à Belin avec l’industriel Franck Cazenave et un autre à Béliet avec Elie Labarbe, le directeur de la fonderie Julien Destang. On était encore très loin des Belinétois que nous connaissons actuellement, les chicaneries entre les deux groupes semblaient aussi réelles que celles entre les deux villages. En tous les cas, Belinois et Bélietois faisaient partie de l’Organisation Civile et Militaire (OCM), un des mouvements de résistance les plus actifs dans le pays. L’OCM sera une des huit organisations à signer la charte du CNR, le Conseil national de la Résistance.

 

Dans le Sud-Ouest, l’OCM est dirigée par un courtier en assurance de Bordeaux, André Grandclément, dont le nom reviendra plus tard dans ce récit. Parmi les grands noms de l’OCM, on cite le plus souvent Léonce Dussarat (Léon des Landes) un quincailler de Dax ou André Bouillard (Dédé le Basque), un commissaire de police de Bayonne que nous retrouverons dans cette histoire.

 

Cazenave, porte d’entrée dans les réseaux clandestins ? 

 

Mais comment Franck Cazenave et Elie Labarbe se sont retrouvés à jouer un rôle actif dans la résistance ? Il ne suffisait pas de vouloir participer au combat pour entrer dans la résistance, encore fallait-il la trouver et avoir les bons contacts. En réponse, et ce n’est qu’une hypothèse, Franck Cazenave devait connaître les bonnes personnes. Car malgré son jeune âge c’était un notable, ingénieur de formation et officier de réserve dans l’aviation où il avait combattu en 1940, il avait certainement gardé des contacts avec des militaires nombreux dans l’OCM. Elie Labarbe, lui, venait d’un milieu bien plus modeste. Il était armé seulement d’un CAP de mouleur en fonderie. Simple soldat, il n’avait pas combattu en 1940 car affecté à un régiment en Algérie. Il est donc vraisemblable que ce soit Cazenave qui ait ouvert la porte de la résistance active au groupe de Béliet, ils se connaissaient forcément étant donné leur activité commune et concurrente en métallurgie.

Grandclément avait réussi à unifier quelques milliers d’hommes mais il lui manquait le principal:  les armes et le matériel. C’est là qu’entre en jeu un personnage attachant et semble-t-il apprécié de tous : Claude de Baissac, un Mauricien sujet britannique. L’homme est un agent du SOE ( Spécial Opération Exécutive ) l’agence militaire britannique destinée à soutenir l’opposition dans les régions occupées par les Allemands. Il parle le français, sa langue natale, avec un accent créole.

Claude de Baissac demande immédiatement des terrains de parachutage à Grandclément. Il faut alors former les équipes pour réceptionner les largages, faire des repérages, installer des radios émettrices, mettre en place des itinéraires de transport pour dispatcher le matériel, en bref un travail de fourmi réalisé en quelques mois dans les conditions terribles de l’occupation allemande.

 

Le réseau de Claude de Baissac (David ) est baptisé Scientist. Une partie des hommes de l’OCM en font partie, mais aussi d’autres groupes de résistance comme l’Armée Secrète. Dès cette époque, début 1943, le groupe de Béliet propose un terrain de parachutage. Il pourrait s’agir du premier site opérationnel pour l’OCM. Ce serait le terrain personnel de “David” qui disposait du parachutage comme il l’entendait. Il semble que les Belinois de Cazenave usaient d’un autre terrain, du côté de Saugnac et Muret. 

 

Une opération périlleuse

 

Le terrain se situe 800 mètres après le viaduc de chemin de fer. C’est un vaste quadrilatère limité à l’est par la voie ferrée, à l’ouest par la vallée de la Leyre, au nord par le ruisseau de la Moulette et au sud par le premier chemin coupant la voie et se dirigeant vers la Leyre à gauche. Certaines collectivités locales ont choisi d’honorer ces lieux particuliers que sont les terrains de parachutage en installant des plaques mémorielles, des poteaux souvenirs ou de petits monuments. Malheureusement, pas plus que le groupe de Béliet n’est honoré par la commune, personne en 80 ans n’a eu l’idée de commémorer ce lieu.

 

L’arrivée du lourd quadrimoteur Halifax les nuits de pleine lune où avaient lieu les largages devait être particulièrement impressionnante. Déjà, le bombardier avait réussi à trouver les repères lumineux dans l’immensité noire. Il volait le plus près possible du sol, les parachutes avaient juste le temps de s’ouvrir. La charge était maximale pour l’avion, pas de voyage à vide ! Une quinzaine de containers cylindriques entre 100 et 200 kg pièces.

 

En théorie, cela se passait bien mais en réalité, il y avait beaucoup de déchets, les bombardiers ne trouvaient pas toujours les zones de largage. Les containers largués trop bas pouvaient exploser tandis que les colis largués trop haut pouvaient rendre la récupération impossible. Quelquefois, ce sont bien les Allemands qui attendaient les containers sur la terre ferme tout en surveillant toute l’opération pour passer à l’action contre la résistance. Il faut dire que ces containers étaient une véritable caverne d’Ali Baba. À commencer par les parachutes en soie naturelle ou coton, une mine d’or pour les femmes du groupe. À l’époque, elles savaient toutes coudre et exploitaient tout ce qu’elles pouvaient de cette manne textile.

 

Dans les containers, non seulement des armes, elles ne seront pas toutes rendues à la fin de la guerre, mais aussi des postes radios-émetteurs, des appareils photo et des pellicules, des kits médicaux, etc.

Mais aussi le container spécial, le plus espéré par les opérateurs, celui avec du tabac et des friandises comme du sucre, de la confiture et le fameux chocolat qui laissera un souvenir impérissable à des Français totalement sevrés de ces produits.

 

« Un don du ciel » 

 

Un jour, Elie Labarbe invite Poumey, son voisin d’en face sur la nationale et qui tenait l’épicerie "L’ économat" ( ancêtre du Super U et actuellement la fleuriste) et lui offre un carré de chocolat. Incrédulité de l’épicier qui n’avait pas vu un tel produit depuis des années : « Mais enfin, Elie, d’où vient ce chocolat ? « C’est un don du ciel » répondit le résistant. L’autre se contenta de la réponse et n’en demanda pas plus.

 

Qu’à cela ne tienne, on imagine le sacré chantier que devait être l’évacuation de cette quinzaine de containers pesant leur poids, de la forêt et les rapatrier dans des caches. Il est même possible qu’ils aient été dissimulés dans les bois et transportés au fur et à mesure. Enfant, le narrateur se rappelle avoir vu chez Gaston (ou Gastounet ), le muletier habitant en face de la fonderie, quelques-uns de ces fameux cylindres métalliques.  Gaston, un homme certainement délicat malgré son métier un peu rude, en avaient fait des jardinières bordant son allée. Le muletier faisait-il partie de groupe de Béliet ? Transportait-il, avec son attelage habitué aux travaux forestiers, cette cargaison spéciale ? On disait qu’il allait à Bordeaux avec ses mules… Beaucoup de questions sans réponses !

Le bombardier Halifax, le plus utilisé pour le largage des containers./Photo DR.
Le bombardier Halifax, le plus utilisé pour le largage des containers./Photo DR.

La première période de résistance active répertoriée (du 20 mars au 4 mai 1943) aurait pu s’allonger si le groupe de Béliet n’avait pas dû faire face à un impondérable : la perte d’un container. Cet imprévu de taille n’était pas perdu pour tout le monde. Un habitant l’avait retrouvé pour signaler sa découverte à la gendarmerie. Les gendarmes s’empressaient d'en faire le moins possible, mais avaient rédigé un rapport qui, de fil en aiguille, termina sur la table des occupants.

 

Très vite, on retrouvait sur la commune la police militaire allemande, des hommes de la Luftwaffe ( armée de l’air ) mais leurs investigations n’avaient rien donné et ils repartirent assez vite. Par prudence, il en était fini pour le terrain de parachutage de Béliet. Personne ne le sait, mais ce fut une décision provisoire, car il est vraisemblable qu’il ait resservi en 1944, avant et après le débarquement. Mais d’autres nuages noirs s’accumuleront au-dessus de l’OCM et de la résistance locale. À partir d’août 1943, les Britanniques stoppent les parachutages dans la région au regard de la situation confuse autour de la direction du mouvement, et particulièrement de Grandclément.

 

Roger Landes, "un dur" 

 

En août de cette même année, Claude de Baissac est évacué. En raison de son importance, il a droit à un avion Lysander pour regagner Londres. Les Anglais lui confient aussitôt une autre mission dans une région appelée à jouer un rôle important : La Normandie. Il est remplacé par un autre agent du SOE, Roger Landes dit « Aristide ». Celui-ci entrera dans l’histoire par son action et sa forte personnalité. « Un dur » dira laconiquement Elie Labarbe, pourtant peu prolixe, de Roger Landes.

Mais celui-ci ne pourra se maintenir sur place, des pans entiers de réseaux tombent dans les filets de la Gestapo de Bordeaux, il semble de plus en plus évident que celle-ci dispose d’informations venant de l’intérieur du mouvement. Roger Landes est donc évacué en octobre 1943 par les Pyrénées. Il aura droit à un séjour au tristement célèbre camp de concentration de Miranda del Ebro, d’où sa qualité de binational franco-britannique lui permettra d’en sortir et de rejoindre Londres.

 

L’auteur de ces lignes ne dispose d’aucune information relative à cette période s’étendant de l’automne 43 au printemps 44 qui a dû être particulièrement difficile pour le groupe de Béliet. On peut présumer que les résistants ont fait le gros dos en espérant passer à travers les mailles du filet tout en attendant les jours meilleurs. Ces derniers viendront, mais la pente sera rude. Dans les jours à venir, un nouvel épisode de cette évocation « L’été 44 », sera publié sur Le Belinétois.